Ce billet est un deuxième extrait de la conférence « Transmettre nos valeurs à nos enfants » donnée par Annie Couture et Joëlle Brichard.  Vous trouverez le premier extrait publié ici.

La première chose, l’évidence absolue quand on parle de passer nos valeurs à nos enfants, c’est que cela nécessite de passer du temps ensemble. On comprend évidemment que les valeurs ne sont pas génétiques. Elles se transmettent par le contact, la conversation, l’exemple. Il faut se côtoyer, s’influencer. Vous pensez sûrement : «oui, bravo, je n’ai justement pas beaucoup de temps à passer en famille, j’espérais apprendre quelque chose d’utile». Très vrai.

Et non, je ne vais pas vous parler de «temps de qualité». À mon avis, cette notion est fallacieuse ; elle sous-entend que nous devrions avoir des temps réguliers où nous ne faisons rien d’autre qu’être avec nos enfants, en faisant des activités édifiantes, pour être capables de développer une vraie relation avec eux. Je vais vous dire un secret : dans notre vie de tous les jours, ni Joëlle ni moi, n’avons le temps d’aller faire un pique-nique au bord du lac avec nos enfants emportant un kit de vaisselle en porcelaine, en récitant la Chanson de Roland.

Je ne vais pas vous dire ici qu’il faut laisser votre travail, devenir maman à la maison ou faire l’école-maison. J’aimerais par contre vous faire réfléchir sur la manière dont nous passons ensemble le temps que nous avons – que nous en ayons beaucoup ou peu.

Je vais faire un pas de côté pour bien vous faire comprendre mon propos. En psychologie de l’entreprise, on décrit parfois les personnes comme étant soit «orientées processus» ou «orientées résultat». En gros, les gens qui sont «orientés résultat» sont intéressés principalement à obtenir une issue, un aboutissement en particulier, et ils s’intéressent peu à la manière dont le résultat arrive. Ils excusent peu les personnes qui entravent la quête du résultat final et sont capables de bousculer les autres pour arriver à leurs fins. Les personnes qui sont «orientées processus», d’autre part, sont plutôt intéressées à la manière dont le résultat se matérialise, même si elles gardent un œil sur la réalisation de la tâche. En gros, elles vont avoir à cœur de jouer fairplay, de s’améliorer, de bien traiter les autres pendant la tâche.

Tout cela est très théorique, mais en fait, j’en parle ici parce que cette notion est revenue quelquefois dans les discussions de notre groupe de soutien. Je me souviens d’une de nos mamans, une mère monoparentale, qui recherchait un avis parce qu’elle avait un problème récurrent : elle se chicanait chaque soir avec sa fillette à l’heure du souper.

En la laissant parler, nous nous sommes rendues compte que, à partir du moment où la dame essayait de faire son souper, sa fille devenait un empêchement, une contrainte, et elle se fâchait parce que le résultat qu’elle essayait d’obtenir – mettre le souper sur la table à 18h – était entravé par la présence de la fillette qui lui jouait entre les jambes et essayait d’avoir de l’attention. Son cas est loin d’être rare.

Dans les faits, aussitôt que nous sommes orientés vers un résultat particulier, les enfants deviennent un empêchement. Pourquoi? Parce que les enfants ne comprennent pas ce que nous faisons; ils sont lents, maladroits, ils ont leurs propres besoins et leur propre logique, qui n’est clairement pas la nôtre. Pensez à la dernière fois où vous avez dû fournir un résultat tout en prenant soin de vos enfants. Sans farce, je vous laisse un instant, pensez-y. Que ce soit écrire un article en gardant les enfants, arriver à la messe à l’heure – ou mieux, tiens, prier pendant la messe avec vos enfants assis avec vous; remplacer un pneu avec des enfants, n’importe quoi, pensez-y.

C’est bon?

Avez-vous terminé votre tâche en étant en colère contre vos enfants? Ou avez-vous terminé votre tâche en étant dans la bonne humeur et l’harmonie avec vos enfants?

Ce que cet exercice montre, c’est que, tant que nous abordons nos tâches en étant orientés « résultat », il est pratiquement impossible d’avoir un temps harmonieux, heureux, avec nos enfants. Ce qui complique encore la chose, c’est qu’habituellement, notre travail nous conditionne très fortement à être orientés «résultat» : par déformation professionnelle, nous sommes pratiquement toujours en mode «résultat». Pire encore, pour ceux d’entre nous dont les deux parents travaillent, nous avons peu de temps pour accomplir les tâches nécessaires à la famille (épicerie, tondeuse, réparations de toutes sortes, lavage, etc.). Nous sommes donc aussi très fortement orientés «résultat» lorsque nous sommes à la maison avec les enfants. Et comme nous l’avons dit tantôt, aussitôt que nous sommes orientés «résultat», il est difficile de ne pas entrer en conflit avec les enfants. Je vous rassure tout de suite, les familles d’école-maison ont aussi ce problème.

Qu’est-ce qu’on fait avec ça? On s’entend qu’on ne va pas remplacer la tondeuse par une séance de cerf-volant avec les enfants. Et il ne va pas arriver par magie une 25ème heure dans la journée pour passer un «temps de qualité» avec nos enfants. Faudrait-il donc délaisser toute possibilité d’avoir des temps où nous développons nos relations avec nos enfants? Bien sûr que non.

La première chose qu’on peut faire, quand on est avec nos enfants, c’est de se rendre compte qu’on est souvent orientés résultat. Juste en prendre conscience, c’est déjà beaucoup. Se dire : «ok, là, maintenant, je suis en train de pogner les nerfs parce que je veux obtenir tel résultat et les enfants m’en empêchent. Je suis dans une logique de résultat et ça va créer du conflit». Simplement ça, ça désamorce habituellement la situation.

Ensuite, on peut essayer de mettre les priorités à leur place, relativiser, et RELAXER.

Mettre les priorités à leur place, ça veut dire qu’on a bien beau désirer, très légitimement, faire notre Costco, il n’en demeure pas moins que nous sommes appellés, maintenant, à donner l’exemple à nos enfants par notre patience et notre bienveillance, et que cet appel est plus important que l’épicerie. Relativiser, cela veut dire se rendre compte que le but qu’on se fixe n’est en fin du compte pas si important que ça.  Que va-t-il arriver si je sors plus tard du Costco? Et que va-t-il arriver si mon souper est sur la table en retard ce soir?

Mais en revanche, que va-t-il arriver si je montre à mes enfants que l’expression violente de la colère est légitime? Que va-t-il arriver si je montre à mes enfants qu’ils sont moins importants qu’une pelouse? Et habituellement, le fait de RELAXER vient tout seul, après avoir mis les priorités à leurs places et avoir relativisé.

Dernière chose, il faut essayer de développer l’habileté d’inclure l’enfant dans le processus. Dans le cas de notre maman du groupe de soutien, elle a appris à prendre un peu plus de temps pour faire son souper, en mettant la fillette dans sa chaise haute et en lui confiait des «tâches» pendant qu’elle préparait le souper (comme lui demander de «classer les tomates», par exemple). Elle en profitait pour lui faire la conversation en lui expliquant ce qu’elle faisait ou comment s’était passée sa journée. Mais cette dame s’est surtout améliorée, juste en se rendant compte qu’elle était en mode «résultat». Souvent, c’était assez pour désamorcer la situation complètement.

Bien sûr ça prend plus de temps être« orienté processus», mais vous serez surpris de constater que (1) ça ne prend pas tant de temps que ça,  (2) vous allez économiser beaucoup d’énergie en mauvaise humeur et (3) vous allez passer du bon temps avec vos enfants, et véritablement développer une relation à travers quelque chose qui, auparavant était une source de conflit.

Se mettre en mode processus nous permet vraiment de réapprendre à s’émerveiller de son enfant, et à passer du temps harmonieux ensemble. Après, si jamais vous avez du temps en extra (du «temps de qualité» à passer avec vos enfants), je ne saurais trop recommander les jeux en famille, les jeux de société par exemple, qui sont très appréciés des familles de notre coop, justement pour leur capacité à inclure tout le monde, promouvoir les échanges et l’entraide, entre autres.

Alors, pensez-vous être déjà orientés « processus »?
Dans quoi pourriez-vous inclure vos enfants cette semaine?