Manifestation école-maison au Québec copyright excordeschola.caÉcole-maison

École-maison au Québec pour les Nuls… non au projet de règlement !

Par Annie Couture, présidente d’Ex Corde Schola

Cette semaine, le 15 avril 2019, s’est tenue à Chambly, devant le bureau du ministre Roberge, une manifestation contre son projet de règlement qui vise à contraindre les homeschoolers à suivre le programme de formation québécoise et les examens qui s’y rattachent. Environ 500 parents étaient présents, selon l’évaluation du journaliste du Devoir Marco Fortier [1].

Toutefois, malgré les moyens de pression et les efforts considérables mobilisés par les parents éducateurs sur les réseaux sociaux, force est de constater qu’il y a encore énormément de désinformation sur la question de l’école-maison au Québec (et que cette désinformation est habilement recyclée par le ministre Roberge pour gagner l’appui populaire à ses mesures). Pire encore : les parents éducateurs semblent incapables de faire comprendre leurs revendications au reste de la population.

Je profite donc de l’occasion fournie par cette manifestation pour m’adresser à ceux qui sont étrangers au débat et répondre à trois questions « Pour les Nuls » : (1) comment l’école-maison est-elle actuellement encadrée au Québec, et que veut faire le ministre Roberge au juste ? (2) de quoi les parents éducateurs se plaignent-ils exactement ? (3) qu’est-ce que les parents éducateurs réclament ?

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Ex Corde Schola à la manifestation du 15 avril 2019 à Chambly

L’école-maison au Québec pour les « Nuls »

Chers amis Nuls, loin de moi l’idée de vous assommer, mais si vous voulez comprendre de quoi il retourne, nous devons commencer par faire un peu d’histoire. Je vous garantis que vous serez récompensés à la fin, alors soyez indulgents et suivez-moi un instant.

D’abord, avant 2018, la Loi sur l’Instruction Publique (LIP pour les intimes), laissait une grande flexibilité aux parents-éducateurs. Le critère établi par la loi était que l’éducation fournie à la maison devait être équivalente (terme flou s’il en est) à ce qui était fourni à l’école publique [2]. Par ses propos vagues en regard de l’école à la maison, la loi permettait donc à des situations très diverses d’exister sous le couvert de l’école-maison. Cela ne signifie aucunement que les enfants d’école-maison aient été plus souvent victimes de négligence éducative : le fait est que nous ne le savons pas. Peu de données étaient disponibles à leur sujet, plusieurs n’étaient pas inscrits auprès de leur commission scolaire et il était difficile (impossible ?) au ministère de l’Éducation de savoir ce qui se passait à l’intérieur de ce « trou noir ». Concurremment, des cas de négligence éducative (liés ou non à l’école-maison) ont été rapportés dans les journaux, et ces situations ont beaucoup fait réagir. Les amalgames étant légion en ce domaine, beaucoup ont pointé l’école-maison comme responsable de ces situations (qu’elle le soit ou non en réalité).

L’an passé (2018), le ministre libéral de l’éducation (Sébastien Proulx) a donc amendé la Loi sur l’Instruction publique. La Loi sur la Protection de la Jeunesse a été bonifiée également (2017). L’objectif était d’encadrer l’école-maison, d’élargir la protection aux enfants victimes de négligence éducative [3] et enfin, de se donner les moyens d’intervenir auprès des écoles illégales.

Ce que le ministre Proulx a fait se résume à ceci :

(a) Il s’est donné la possibilité de croiser les données de l’assurance-maladie avec celles du ministère de l’Éducation afin d’identifier les enfants qui ne sont pas inscrits (il connaissait déjà les écoles illégales, mais il voulait savoir qui n’était pas inscrit auprès du ministère).

(b) Il a inscrit dans la Loi sur l’instruction Publique une série d’obligations pour les parents concernant les matières à enseigner. Dorénavant, sept matières sont obligatoires pour tous : les mathématiques, le français, une autre langue, les arts, les sciences et technologies, une matière dans le domaine du « développement de la personne », et l’univers social [4].

(c) Il a ensuite établi une série d’obligations pour les parents concernant le suivi et l’évaluation des enfants. Un projet d’apprentissage doit être fourni par le parent en début d’année, un état de situation et un bilan de mi-parcours doivent être fournis en milieu d’année, une rencontre de suivi avec un fonctionnaire du ministère a lieu au courant de l’année, et une évaluation a lieu en juin (selon les possibilités offertes par le ministère).

(d) Il a enfin mis sur pied un organisme (dépendant du ministère de l’éducation) qui encadre les homeschoolers : la Direction de l’Enseignement à la Maison (DEM). La DEM assure le suivi des obligations susmentionnées pour les enfants scolarisés à la maison.

Concurremment à cela, la Loi sur la Protection de la Jeunesse a été amendée afin d’intervenir sévèrement contre ceux qui ne fournissent pas à leurs enfants une éducation qui rencontre les normes énoncées dans la loi (ils peuvent être accusés de négligence) [5].

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M. Roberge, ministre de l’Éducation, durant la manifestation

Le projet de règlement de M. Roberge, c’est non !

Fast forward à aujourd’hui. Le ministre Roberge juge que tout cela n’est pas suffisant. Surfant sur l’ignorance généralisée des citoyens québécois au sujet de l’école-maison, il affirme notamment en point de presse que les parents éducateurs n’ont pas à faire faire de mathématiques, ou alors pas de sciences [6] (nous l’avons vu, c’est faux dans les deux cas), et que des enfants risquent de «tomber entre les mailles». Il veut, dit-il, s’assurer que tous les enfants reçoivent une éducation de qualité. Sa solution ? Obliger les parents éducateurs à utiliser le programme québécois de formation mur à mur et faire passer les examens ministériels. Tout le monde est d’accord, les préoccupations du ministre sont légitimes, fin de l’histoire.

Sauf que.

Sauf que les dispositions adoptées par le ministre Proulx n’ont même pas un an – l’année scolaire en cours n’est pas terminée, les enfants d’école-maison doivent être évalués en juin : le ministre Roberge ne peut pas possiblement avoir de données en mains à leur sujet. Tout se passe comme si le ministre ne voulait laisser aucune chance au règlement actuel. Pourtant, on l’a vu, ce règlement lui donne déjà les outils pour surveiller l’éducation des homeschoolers : matières imposées, suivis avec la DEM, évaluations en fin d’année, protection contre la négligence éducative… Que lui manque-t-il exactement pour empêcher les enfants de « tomber entre les mailles » ? Qu’est-ce qui lui permet de croire que l’éducation reçue par ces enfants d’école-maison puisse être déficiente ? Mystère.

De toute évidence, le ministre Roberge est pressé, pressé au point d’agir sans avoir de données en mains. Que cache exactement cet excès de zèle, enrobé de mensonges pour tout faire passer sans objection ? Fixation idéologique ? Désir de laisser un héritage législatif ? Difficile de le dire. Toujours est-il que le ministre décide d’y aller d’un nouveau règlement contraignant, extrêmement rapidement et sans consulter les acteurs du milieu.

Résultat : soulèvement généralisé des parents éducateurs. Cela nous amène à notre deuxième point. De quoi se plaignent-ils exactement ? Cela ne doit pas être si pire de faire le programme, personne n’en est mort à date, quel est donc le problème ?

Le problème, c’est que l’obligation à suivre le programme québécois frappe au cœur de ce qu’est l’école-maison. La plupart des parents éducateurs font justement l’école-maison pour se permettre de faire mieux ou plus adapté que le programme québécois. L’idée est de fournir à l’enfant une pédagogie, un programme et un rythme qui lui conviennent à lui. On veut lui donner toutes les chances de progresser de façon optimale selon ses besoins, ses capacités et son style d’apprentissage à lui.

Par exemple, on peut vouloir utiliser les maths de Singapour, qui sont réputées plus exigeantes, dans le cas d’un enfant doué, ou alors les maths des frères Lyons, qui ont acquis une solide réputation dans le cas d’enfants en difficulté. Or, aucun de ces deux programmes n’observe la même progression des apprentissages que le programme québécois. Conséquemment, les enfants qui les suivent se trouvent désavantagés devant des examens ministériels, qui sont conçus pour évaluer le programme québécois. Pour ma part, je serais bien embêtée devant un examen ministériel de grammaire : les examens se basent sur la nouvelle grammaire, que je ne connais pas. Et pourtant, j’écris sans faute… (Pour les amateurs d’antiquités, j’ai appris la grammaire avec le Bled).

Les parents éducateurs sont donc dégoûtés qu’on les ramène de force au programme québécois (avec ses examens) qui ne convient certainement pas à tous les enfants et qui est, disons-le franchement, loin d’être le meilleur au monde.

Par ailleurs, les parents veulent que l’on respecte leur droit à choisir l’éducation qui convient le mieux à leurs enfants (ce droit est enchâssé, notamment, dans le code Civil [7]).

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Annie Couture, présidente d’Ex Corde Schola

Cela nous amène au troisième point de cet article : que demandent les parents éducateurs au juste? Pas grand-chose en fait. Ils demandent au ministre

1) d’en rester au « règlement Proulx [8] » pour une période de deux ou trois ans, ne serait-ce que pour prendre le temps d’en constater les résultats, mais aussi parce que ce règlement a été rédigé suite à des consultations du milieu et qu’il reflète une bonne compréhension des réalités de l’école maison. En effet, s’il donne des matières obligatoires, le règlement Proulx laisse aux parents éducateurs le choix du programme utilisé et il fournit cinq options d’évaluation qui permettent au ministère de suivre l’évolution des enfants sans passer nécessairement par des épreuves ministérielles [9].

2) Les parents éducateurs demandent aussi que si, suite à ce délai, le ministre désirait tout de même modifier le règlement, il s’assoie avec les parents éducateurs et les associations qui les représentent afin d’élaborer un règlement respectueux de leur réalité et de leurs besoins.

Pas si mal, non ?!

Alors pour ceux d’entre vous qui ne dorment pas encore et qui sont toujours avec moi, j’aimerais conclure en répondant à une question qui revient souvent en lien avec l’école-maison : oui, les cas de négligence existent sûrement quelque part. Mais je n’en ai jamais vu. Les études sérieuses sur le sujet montrent généralement que les enfants d’école-maison réussissent au moins aussi bien que leurs pairs scolarisés à l’école, qu’ils ont une meilleure insertion sociale (contrairement au mythe des enfants mal socialisés), qu’ils font des citoyens impliqués socialement et politiquement, et qu’ils ont un meilleur équilibre émotionnel que leurs pairs des écoles [10].

Je ne connais aucune famille d’école-maison qui décide d’abandonner un deuxième revenu, de sacrifier son niveau de confort et de vivre à contre-courant, juste pour le fun de négliger l’éducation de ses enfants. Ces familles – et j’en connais un paquet – sont des familles aimantes et dévouées. Ce qu’elles font pour leurs enfants, c’est leur donner la meilleure éducation possible – et selon les données de recherche disponibles, il semble qu’elles le fassent très bien. Donnons-leur donc la chance de continuer de le faire à leur manière. Et si on leur retire ce droit, faisons-le au moins sur la base de faits.


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